Pour fêter les dix ans de la bonne idée de leur création, les éditions Gallmeister ont lancé un concours de nouvelle. Il fallait écrire une nouvelle donc, cohérente, et en y incluant un maximum de titres du catalogue, le tout étant compris entre 3000 et 5000 signes. C’est rigolo comme jeu, non ?
Alors moi aussi j’ai voulu jouer à Léo Henry, le spécialiste de la nouvelle sous contrainte (j’en profite pour vous encourager à vous inscrire sur son site, ICI, afin de recevoir chaque mois une nouvelle par mail).
Bon j’ai pas gagné, ce sont des choses qui arrivent mais c’est pas grave. Alors je partage et j’en profite pour dire que cette petite chose sortie de mon cerveau et torturée dans tous les sens pour que ça rentre dans les 5000 signes, est dédiée à Manue, ma sympathique fée de la bière à moi.
Au lac des bois, assise sur son rocher comme la grenouille sur son nénuphar, Birdy, la fée des Grandes Idées déprimait. Entendant sa déprime résonner au-delà du monde connu et inconnu, la sympathique fée de la bière surgit.
- Ah…quand même, constata-t-elle.
- Je suis malheureuse, annonça Birdy.
- J’aurais pas deviné toute seule.
- Elle est partie et ça fait un creux. Un creux plein de vide avec beaucoup de rien qui l’entoure. Et c’est comme si elle avait arraché un peu de moi en partant, des lambeaux de moi et ça fait mal.
- C’est beau ce que tu dis, répondit la sympathique fée de la bière sans trop y croire. Du coup, tu restes sur ton rocher pour vingt cinq ans de solitude ou tu comptes à un moment faire autre chose qu’avoir mal ?
Birdy retint un gros sanglot comme un enfant sans doudou.
- Du vide et de la corrosion qui creuse…
- Ok ! s’exclama la sympathique fée de la bière. Je sais ce qu’il te faut. Un voyage initiatique ! C’est ce que font les déprimés. Ça ou se raser le crâne et partir chanter sur les routes de Katmandou avec des chèvres du Larzac.
- Un voyage ?
- Oui et je sais exactement quoi et où. Dans la contrée indienne, à Indian Creek précisément, là où les rivières se séparent, tu trouveras le saloon des derniers mots doux. Là bas les truites…
- Sérieux ? J’ai mal à mon vide et tu me parles de mots doux ?
- Cesse de jouer les oiseaux de malheur et écoute. Tu feras des rencontres avec l’archidruide, Joe. Il te montrera l’itinéraire d’un pêcheur à la mouche mais surtout, l’art du Shibumi.
- Shifumi.
- Non, Shibumi. Tu verras.
C’est ainsi que, oubliant le petit déjeuner des champions pourtant réglementaire en de telles circonstances, la sympathique et non moins déprimée fée des Grandes Idées prit la route, en promettant de la remettre à sa place en fin de mission. Trouver l’archidruide fut une mince affaire car à vol d’oiseau et même sans l’âge du capitaine, ce n’était pas si loin. Elle ne traversa pas enfer et désolations, tourna à droite après la montagne en sucre, évita les derniers grizzlis qui par mesure de précaution voyageaient à deux plutôt qu’en animaux solitaires, rata la dernière séance à laquelle elle ne comptait pas aller et parvint à destination avant la nuit.
L’archidruide était affalé contre le bar du saloon, caché derrière un journal clamant : « Incident à Twenty-Mile : le gang de la clef à molette passe Frank Sinatra dans un mixeur et trouve le testament d’un pêcheur à la mouche ! »
Lorsque le journal se baissa, Birdy fut surprise de constater que Joe n’était ni tout à fait un homme, ni tout à fait une femme, sans prendre pour autant des deux mais ressemblait étrangement à la sympathique fée de la bière, avec une barbe et des pieds en peau d’ours.
- Souvenirs de mes années grizzly.
- Il paraît que tu connais le Shibumi.
- Le quoi ?
- La fée de la bière a dit…
- Ah ouais ! la coupa Joe. Mais non. Moi je peux t’offrir une bière et disserter sur la danse avec les truites. Pour le reste, il vaut mieux voir l’indien blanc.
Birdy accepta la bière parce qu’elle avait soif et la dissertation parce qu’elle n’avait pas le choix puis s’enquit du moyen de trouver ledit indien.
- Alaska.
- Le pays ?!
- L’Alaska n’est pas un pays et en l’occurence, c’est un bar. Et méfie-toi. Si l’indien te demande de classer les sortilèges de l’ouest par ordre alphabétique de grandeur, c’est qu’il est cuit. Faudra revenir dans un jour ou deux.
Elle trouva le bar et l’indien qui, étrangement, ressemblait à la fée de la bière, avec des plumes et un parfum de jitterbug lisant un journal annonçant : « Miracle à Santa Anna : trouvez la délivrance dans la vente d’aquarium ».
- Est-ce que je rêve?
- Qui sait ? répondit l’indien.
- Bon alors, ce Shibumi ?
- Toi retrouver le livre de Yaak et moi te montrer Shibumi.
- Pourquoi tu parles comme ça ?
- Histoire de faire couleur locale.
- Ok. Il est où ton bouquin ?
- C’est l’expert qui l’a. Sur la colline des potences il y a un bar, la dernière frontière.
Birdy soupira.
- Une petite bière ?
Elle accepta puis trouva l’expert qui après lui avoir offert à boire, promit le livre en échange de l’oiseau du bon dieu possédé par Cassandra, sise dans le jardin des martyrs nord américains, laquelle, après une bière, exigea le nom des étoiles que les arpenteurs, molosses de flammes et d’argile, avaient pris pour offrir aux douze tribus d’Hattie en gage de respect, lesquelles logeaient au refuge de Sukkwan Island un bar à thème, où là, l’homme qui marchait sur la lune, un fou ordinaire, après une bière, lui donna le petit traité de philosophie naturelle, ouvrage mystérieux dont la couverture mentionnait « Pas de panique ! » ce qui lui rappela vaguement quelque chose. Elle accepta les bières puis retourna récupérer ce qui devait l’être et retrouva l’indien/fée de la bière.
- Bon alors ! Pourquoi tu me trimballes ?
- Tu vois, si ton coeur doit être un désert solitaire, je serai toujours là pour le peupler un peu et jouer au Shibumi.
- Mais c’est quoi à la fin ?
- C’est comme le shifumi mais avec un b comme bière !