Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

8 nov. 2012

Desperate Worker





  Dans une société où des chiens clonés se promènent librement dans les rues, où des attentats refont régulièrement le paysage et donnent justification à une surveillance perpétuelle par des hélicoptères, un employé travaille.

 Dans son immeuble de bureau, il est l’Employé par excellence. Toujours à l’heure, toujours fiable. 

 Jusqu’à ce qu’un soir, il croise la secrétaire. Ils se parlent, se raccompagnent, se tiennent sexuellement compagnie toute la nuit, et là, évidemment, c’est le début des emmerdes.

 Ça va pas arranger la réputation des secrétaires tout ça!


  Encore un roman étrange dont il est difficile de sortir sans qu’une petite partie de nous y soit encore et dont il est difficile de parler sans trop en dire! Il faut croire que je suis abonnée à ce genre là ces derniers temps. 


  Roman étrange car dès les premiers mots l’ambiance se pose. L’employé, un homme ordinaire, est prisonnier des microstructures composant la société : travail, famille (patrie?!), et passe de l’une à l’autre comme d’une cellule à une autre. Son travail, il fait tout pour ne pas le perdre car les vagues de licenciements arrivent de manières régulières mais pourtant complètement aléatoires. L’ambiance de suspicion qui règne fait qu’il ne se lie à personne et se méfie de tout le monde et en particulier de son voisin de bureau. Quant à sa vie de famille, elle est plus qu’horrible, coincé entre une femme aigrie qui occasionnellement le bat et des enfants pour lesquels il n’éprouve tout au plus que de la pitié.


  Mais l’employé est trop lâche (pense-t-il) pour en sortir, même si les rêves d’évasion sont bien présents. Et puis, la rencontre se produit, la petite goutte d’eau qui va faire exploser le vase. Toutefois, l’amour ne va pas lui donner le courage nécessaire car, d’ailleurs, s’agit-il réellement d’amour ou de l’image qu’il a de l’amour? La rencontre ne sera que le déclencheur, la porte ouverte à toutes ses ambitions mais surtout à ses frustrations, ses obsessions développant sa paranoïa.


  L’écriture de Saccomanno est brute de décoffrage avec des phrases courtes et très peu de dialogues. La description des lieux est quasi inexistante, réduite au strict minimum. Le roman est d’ailleurs très court ce qui lui donne cette force de percussion. Tout est complètement dépersonnalisé, les personnages n’ont pas de nom et sont réduits, eux, à une fonction : l’employé, la secrétaire, le chef, la pompiste, le collègue, la femme, les enfants. 


  Tout dans ce roman contribue à donner une image sèche de cette société où tout est interchangeable surtout l’être humain. Les sentiments sont expurgés et réduits aux plus simples besoins si bien que lorsqu’un personnage témoigne d’autres envies, d’autres ambitions, c’est comme un point de lumière, une éclaircie dans cette ville où on a l’impression qu’il fait toujours nuit. 


  L’employé est donc définitivement un roman bizarre qu’on aime ou alors dont on ne comprend rien et encore une fois, il est la preuve qu’on peut écrire une histoire reposant sur un personnage qu’on n’arrive pas à aimer. Personnellement, j’ai adoré même s’il est d’un pessimisme débordant. Ou peut-être est-ce à cause de ce pessimisme que j’ai adoré!


  Vous l’aurez compris, à ne pas offrir à un dépressif, sauf si vous le détestez. 


  Donc si comme moi vous êtes convaincu de la nature complètement abrutie de l’humanité et si vous aimez les ambiances kafkaïennes, les romans étranges et jusqu’au boutistes, vous savez ce qu’il vous reste à faire. 


CITRIQ

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