Seulement dans des livres, comme vous dites. Seulement! Les livres ne peuvent jamais être seulement ; ils peuvent seulement être toujours.
Jeff Noon

1 nov. 2013

Confiteor Jaume Cabré omnipotenti



Barcelone années cinquante, le jeune Adrià grandit dans un vaste appartement ombreux, entre un père qui veut faire de lui un humaniste polyglotte et une mère qui le destine à une carrière de violoniste virtuose. Brillant, solitaire et docile, le garçon essaie de satisfaire au mieux les ambitions démesurées dont il est dépositaire, jusqu’au jour où il entrevoit la provenance douteuse de la fortune familiale, issue d’un magasin d’antiquités extorquées sans vergogne. Un demi-siècle plus tard, juste avant que sa mémoire ne l’abandonne, Adrià tente de mettre en forme l’histoire familiale dont un violon d’exception, une médaille et un linge de table souillé constituent les tragiques emblèmes. De fait, la révélation progressive ressaisit la funeste histoire européenne et plonge ses racines aux sources du mal. De l’Inquisition à la dictature espagnole et à l’Allemagne nazie, d’Anvers à la Cité du Vatican, vies et destins se répondent pour converger vers Auschwitz-Birkenau, épicentre de l’abjection totale.
Confiteor défie les lois de la narration pour ordonner un chaos magistral et emplir de musique une cathédrale profane. Sara, la femme tant aimée, est la destinataire de cet immense récit relayé par Bernat, l’ami envié et envieux dont la présence éclaire jusqu’à l’instant où s’anéantit toute conscience. Alors le lecteur peut embrasser l’itinéraire d’un enfant sans amour, puis l’affliction d’un adulte sans dieu, aux prises avec le Mal souverain qui, à travers les siècles, dépose en chacun la possibilité de l’inhumain – à quoi répond ici la soif de beauté, de connaissance et de pardon, seuls viatiques, peut-être, pour récuser si peu que ce soit l’enfer sur la terre.


  On ne pouvait quatrième de couverture plus complète et plus tentatrice pour l’un des romans les plus intrigants et les plus audacieux de cette dernière rentrée littéraire. Intrigant par son sujet qui promet une épopée incroyable, audacieux par son mode de narration qui interloque au premier abord (oui j’aime beaucoup ce verbe qu’on n’utilise trop peu en conjugaison directe!) mais aussi peut-être un peu effrayant pour certains en raison de ses quelques 780 pages. Et en plus, croyez-le ou pas, mais de vraies 780 pages bien remplies avec une taille de caractère normale... ... et non, il n’y a pas d’image.


  C’est d’abord avec une grande hésitation que je regardais ce roman ne sachant s’il serait à la hauteur de ses promesses et me demandant si je me sentais le courage de me fader justement ces presque 780 pages pour le savoir. Et puis, une personne dont je commence à cerner les goûts (à savoir très proches des miens), ma cousine perdue retrouvée libraire de son état également (oui, une longue histoire de famille et peut-être nous aussi écrirons-nous bientôt une longue lettre de 800 pages pour vous raconter notre épopée!), cette personne donc, clamait haut et fort à qui voulait bien l’entendre et même à ceux qui ne le voulaient pas, que ce roman était vraiment trop génial! Oui là je vous fais la version courte de son argumentaire parce que sinon, que me reste-t-il alors?! 


  Puis, sur un coup de tête, une folie (j’ignore ce qui me prit ce jour-là! Parfois je fais vraiment des trucs de dingue comme sortir sans écharpe!), je pris le livre en main et regardais la première phrase. Je fais partie de ces lecteurs très sensibles à la première phrase. Et là, c’était foutu. Parce que quand je lis ceci :

«Ce n’est qu’hier soir, alors que je marchais dans les rues trempées de Vallcarca, que j’ai compris que naître dans cette famille avait été une erreur impardonnable.»

je me dis cela : merde, maintenant j’ai vraiment envie de m’enquiller ces 780 pages.


  Et autant dire tout de suite que même si j’ai vécu cette lecture un peu comme un marathon, je n’ai pas regretté un seul instant de m’y être engagée. Un marathon parce que passées les 100 premières pages, on se rend compte de la complexité de ce roman fleuve et surtout du travail sur l’écriture et ce fameux mode de narration. Et au début on se demande : l’auteur va-t-il tenir sur la longueur sans nous lasser ou nous perdre? Ensuite, passées les 200 pages, on se rend compte que la réponse est oui, il tient et en plus, il tiendra jusqu’au bout. Ce qui fait que nous aussi nous devons tenir car plus on avance dans le roman, plus les histoires s’entremêlent, plus les personnages se rajoutent et il faut donc un minimum de concentration mais la récompense est à la hauteur.


  Par son écriture et par son sujet, Confiteor nous transporte littéralement au sein d’une famille cernée par des secrets, secrets qu’Adria, ce jeune garçon surdoué qui grandit sans amour mais comme objet d’ambition pour son père et sa mère, regardera comme autant de boîtes de Pandore. A travers son histoire, il nous raconte celle du violon, du médaillon et du tissu et l’histoire de ces trois objets nous raconte la complexité de celle d’Adria. Chacune fait miroir pour les autres. Ce qui explique et justifie ce mode de narration si particulier, oui j’y viens de suite. S’il y a un narrateur principal, Adria, d’autres vont venir s’entremêler, sans prévenir et sans transition, au milieu d’un paragraphe ou d’un dialogue. Jaume Cabré change subtilement et avec une parfaite maîtrise de personnages et donc d’histoire, littéralement en cours de phrase. Déconcertant donc, au premier abord, mais on s’y fait assez rapidement car le lien entre les évènements passés et leur répercussion, voire répétition, dans la vie d’Adria apparaissent petit à petit. 


  Comme tout roman fleuve et saga familiale, Confiteor foisonne de moments de vie mais aussi et surtout d’idées, de pensées, de souvenirs d’enfants, de sensations et d’émotions qui nous emmènent de l’amour (l’histoire contrariée d’Adria et de Sara) à la haine, de l’amitié (indestructible semble-t-il entre Adria et Bernat, l’éternel insatisfait, mais non pas infaillible) à l’éloignement, de la vengeance au pardon, de la mémoire à l’oubli, et puis, encore et toujours, l’obsession, particulièrement celle du collectionneur. Ce désir de posséder un objet, objet qui prend toute sa valeur non pas uniquement par son histoire ou sa rareté, mais aussi par le désir qu’il suscite chez l’acquéreur.


  La plume de Jaume Cabré frôle la perfection à mon goût, car sans tomber dans le "m’as-tu vu comme j’écrit trop bien", il nous fait ressentir les ambiances, celle des forêts où l’on a l’impression d’être aux côtés du jeune homme qui apprend à faire résonner les troncs d’arbre, à les écouter, à les sentir et les toucher pour savoir lequel sera l’élu pour devenir le meilleur des instruments; celle du bureau du père d’Adria empli de manuscrit et où il se glisse enfant derrière le canapé devenu sa cabane et où il écoute les conversations interdites; celle d’une promenade hivernale en pleine nuit dans un cimetière; celle des monastères froids et isolés; celle des camps de concentration...


  Confiteor et Jaume Cabré tiennent leurs promesses, celle d’être un roman qui sort du lot fade et répétitif d’une rentrée littéraire éternellement identique mais surtout, celle de donner à son lecteur la sensation de ne plus être le même entre le moment où il ouvre ce roman et celui où il le refermera... ... et même sans aucun doute, longtemps après.


  «La dague lança un éclat dans la faible lumière avant de s’enfoncer dans son âme. La flamme de sa chandelle s’éteignit et il ne vit ni ne vécut plus rien. Plus rien. Il ne put dire où suis-je car, déjà, il n’était plus nulle part.»



P.S. : quant à vous, amateurs/trices de La Volte, vous aurez en plus joie et bonheur en croisant dans Confiteor un personnage bien connu de nos services de détection de haute Voltée, à savoir Nicolas Eymerich, l’inquisiteur. Et, oui, vous aurez confirmation, encore une fois, que définitivement, c’était un gros con. 


CITRIQ

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