«Ça sera lent. Presque indolore, il a poursuivi. Progressif. Je serai une absence, d’abord, une nostalgie. Puis des souvenirs, une idée. Quelques images. Ne t’inquiète pas : tout ce que je devais être, je l’ai déjà été. Tu ne seras plus surpris par moi. Tu ne sera jamais déçu.» Goudron mouillé, prière dérisoire.
Léo Henry, est-il nécessaire de le dire, est un auteur plutôt éclectique (ce qui ne veut pas dire qu’il a des actions chez edf quoique chacun fasse ce qu’il veut de sa vie privée). Avec ce nouveau recueil de nouvelles, anthologie d’oeuvres passées et de réalisations présentes, il prouve encore une fois son habileté à partir dans tous les sens mais toujours avec ce côté fantasmatique. Rappelons pour mémoire que Léo Henry était déjà responsable à La Volte du délire romanesque complètement déjanté qu’est Rouge Gueule De Bois. Pour ma part, j’avais adoré. D’ailleurs à l’époque nous n’avions pas encore la pastille triple J, jubilatoire juste jénialissime. Il convient donc de rectifier le tir et de lui attribuer aujourd’hui. Voilà chose faite.
Pour ceux qui connaissent déjà Léo Henry, ils retrouveront dans Le Diable est au piano des thèmes récurrents chez l’auteur : l’alcool, les personnages déglingués, les situations qui virent au n’importe quoi mais aussi la capacité de notre esprit à s’évader par l’imaginaire hallucinatoire.
Certaines nouvelles se rapprochent de l’esprit de RGDB pour le côté déjanté et parfois alcoolisé comme Révélations du prince de feu qui pose Corto Maltese et Blaise Cendrars dans un Brésil étouffant, poursuivis par un tueur psychopathe. Ce duo ne peut que nous rappeler celui de Fredric Brown et Roger Vadim, et pour ceux qui n’ont pas lu RGDB, c’est une excellente nouvelle pour se mettre en jambe ou pour ouvrir l’apéro.
Indiana Jones et la phalange du troisième secret n’est pas piquée des vers non plus avec un Indiana Jones étonnant et toujours aussi amoureux de son chapeau, qui croisera Orwell et Capa.
Dans la série des hommages et clins d’oeil que j’ai vraiment aimé, il y a celui à James Bond dans Kiss kiss, bang bang, belle métaphore sur l’immortalité de l’agent le moins secret de l’histoire de l’espionnage ; et ceux à Saint Exupéry dans Je suis de mon enfance comme d’un pays et Kafka dans Fragments retrouvé dans une poubelle.
Pour le reste, il faut reconnaître qu’il y a quelque chose d’hypnotique dans l’écriture de Léo Henry. Il ne s’agit donc plus de savoir si on va aimer mais si l’hypnose va fonctionner. Lorsque c’est le cas, ces nouvelles là m’ont marquée sans pouvoir définir pourquoi (L’invention de Guthmann, Nataraja, 78 pin up). Lorsque l’hypnose n’a pas fonctionné, elles m’ont paru hermétiques. C’est beau, bien écrit mais je n’ai pas compris où il voulait nous emmener (Quand j’ai voulu ôter le masque, il collait à mon visage, Festin de pierre). Car Léo Henry a cela d’indéniable, une véritable plume, une écriture imagée, souvent drôle, parfois plus maîtrisée que d’autres.
Ainsi, certaines nouvelles du Diable est au piano sont de véritables pépites telles Les trois livres qu’Absalon Nathan n’écrira jamais, pur petit bijou autour de la création littéraire, Grand Prix de l’Imaginaire ; et puis, Goudron mouillé, prière dérisoire qui m’a particulièrement touchée. Hommage à Jacques Mucchielli avec qui Léo Henry avait créé la série de nouvelles autour de Yirminadingrad, c’est une sorte d’au revoir. Quiconque a perdu un proche peut s’y retrouver et surtout retrouver la difficulté que l’on a à accepter, mais l’indispensable nécessité de savoir laisser partir les morts. Goudron mouillé laisse une émotion évanescente et une question se pose : pourquoi n’est-ce pas par elle que se conclut le recueil?
Parce que là, je dois dire qu’enchaîner avec Laisse couler bonhomme, nouvelle dans le style déjanté et alcoolique mais pour le coup la seule que je trouve complètement ratée, est à mon avis la seule faute de goût du recueil. (Mais peut-être est-ce justement parce que Laisse couler suit Goudron mouillé que je l’ai trouvé ratée?)
En conclusion, Le diable est au piano est un recueil inégal, certes, mais majoritairement bon voire excellent. Il ne constitue sans doute pas la meilleure manière d’entrer dans l’oeuvre de Léo Henry, en tout cas pas la plus facile, mais après tout, sans audace la littérature n’est rien.
Enfin, saluons le travail toujours aussi bluffant de Stéphane Perger pour cette couverture juste magnifique et pour les quelques illustrations de Supplément au bibliophage dont l’une a servie pour le marque-ta-page, qui une fois de plus font du roman de Léo Henry un très bel objet-livre.
En vertu de quoi, plus que de raison car le coeur a ses raisons que mon voisin ignore, n’oubliez jamais, contre vents et tempêtes de neige, achetez La Volte, La Volte vous le rendra!
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